Le retour des légendes sans photo

Alors que ma semaine se passait relativement bien, j’ai reçu un mail qui commençait par : « Bonjour, Il semblerait que votre pellicule soit vierge ... En effet, après un développement minutieux de votre pochette n° 06.P209788, nous avons découvert qu'aucune image n'y a été enregistrée. »

Chienne de vie.

Non seulement, je n’aurai jamais les photos que je pensais avoir pris lors de mes différents week-ends en Bretagne et en Normandie entre copains et en plus j’ai perdu 30€ de pellicule / développement pour rien. Je suis passée par tous les états que sont la déception, la colère, la tristesse, le sentiment d’injustice mais pas un seul d’entre eux ne m’a rendu ces moments volés par mon erreur de manipulation. Néanmoins, trois leçons sont à tirer de cette mauvaise expérience et je peux déjà dire que je suis une meilleure personne qu’avant. Déjà la première est celle que j’ai reçu à la fin de ce mail : « Chaque échec est juste une nouvelle chance de briller ! » Entre nous, je ne suis pas certaine de l’impact positif de ce genre de conclusion tant la formulation est mal trouvée. A la limite, ils auraient pu terminer ce mail par : « Ce qui ne tue pas nous rend plus fort ! » et là j’aurais souri devant mon écran. Ensuite, la deuxième leçon est qu’il faut écouter ses intuitions, son instinct, ses tripes. En rembobinant la pellicule, j’ai senti que quelque chose était légèrement différent au niveau de la molette. Si j’avais écouté mon intuition, j’aurais demandé à vérifier la pellicule avant le développement et je n’aurais pas dépensé de l’argent pour rien. L’être humain a perdu confiance en son sixième sens et cette perte est bien plus dramatique que celle de ma pellicule. Dans tous les cas, les moments capturés, eux, auraient été perdus à ce stade car j’ai déclenché l’obturateur dans le vide. C’est le sujet de ma dernière leçon à tirer : le moment est plus important que la photo. Nous capturons des moments pour les transporter hors du temps, les rendre légende. Si bien que l’inoubliable surpasse le moment présent et parfois va même jusqu’à le transformer : sous le regard d’un appareil photo, les gens agissent différemment. Est-ce qu’on prend une photo pour se souvenir du moment, ou bien est-ce que le moment est inoubliable parce qu’on a pris cette photo? La photographie devrait être au service de notre présent et non l’inverse. Je visualise les 36 photos évanouies pour toujours dans ma mémoire et elles ne me paraissent plus aussi figées que si elles l’étaient sur un écran. Je vois l’avant, l’après, j’entends les voix, les rires, je sens le vent, la lumière. Ces moments me reviennent davantage que s’ils n’avaient été qu’une photo car tous mes sens sont en alertes pour s’en souvenir.

Réflexion faite, il est temps de ressortir mon appareil photo numérique du placard.